Témoignage de Sam Kenney
Comme beaucoup de
volontaires américains, je suis arrivé au Sénégal en idéaliste. J'avais
étudié la colonisation française de l'Afrique de l'Ouest et j'avais fait
du bénévolat touchant l'éducation des immigrants dans ma communauté. Je
voulais approfondir cette expérience et élargir ma compréhension de la
société sénégalaise qui n’était précédemment limitée qu’aux écrits de
Senghor et Diouf. Je voulais aussi pratiquer et améliorer mon français.
Par dessus tout, je souhaitais apporter une contribution positive.
Je crois que j'ai atteint tous ces objectifs. Je suis fier du travail
que j'ai réalisé. Je suis reconnaissant pour mes leçons quotidiennes
en français et en wolof. Je suis incroyablement impressionné par le
personnel de Maison de la Gare qui travaille sans relâche pour améliorer
la vie des enfants talibés. Ce qui est plus difficile pour moi est de
communiquer comment, au cours des onze semaines, Saint-Louis au Sénégal
est devenu mon second chez moi.
Ma routine quotidienne consistait à me lever, prendre le petit déjeuner
avec ma famille d'accueil et me rendre au travail à pied. Maintenant
que l'été tire à sa fin, il me semble que n'importe quel événement ou
routine ou interaction augmente ma compréhension du Sénégal. Mon
parcours quotidien pour aller au travail ne faisait pas exception ; les
adultes et les enfants venaient vers moi pour serrer la main de
l'étranger, apprendre son nom et l'accueillir. Bientôt tout le quartier
connaissait mon nom et, au lieu de crier « Toubab! » (le mot en wolof
pour une personne blanche), ils criaient « Samba! » avec un sourire et
un coup de pouce en l'air (une de mes plus grandes joies de tout l'été
a été d'atteindre, au prix d'efforts incessants, une compétence
conversationnelle en wolof).
Au travail, j'étais accueilli par tout le personnel, qui a fait des
pieds et des mains pour me faire sentir comme chez moi. Vu que le
premier mois de mon séjour correspondait presque exactement avec le
ramadan, je restais habituellement toute la journée au centre et je
rompais le jeûne avec les talibés plus âgés et le personnel après le
coucher du soleil. Nous donnions tout d'abord à manger aux petits
enfants talibés - ceux qui souffriraient de la faim sans ce pain.
Quand arrivait le moment pour nous de manger, tout le monde m’offrait
les meilleurs morceaux et la première tasse d'ataya (thé). Bien que
je faisais de mon mieux pour être poli, les priant de manger en premier,
et pour insister pour que je pusse attendre, mes collègues insistaient.
Comme un ami me l'a expliqué, « Ils ne le font pas (être accueillant)
parce que tu es blanc, mais parce que tu es un visiteur au Sénégal,
chez nous. Nous voulons te montrer le meilleur de chez nous ».
Pendant le ramadan et le mois suivant, ma journée commençait
généralement en travaillant dans le bureau avec Noël. Nous utilisions
un chiffrier Excel pour enregistrer la présence au centre et, avec
plus de 3,000 noms dans la base de données, la logistique devint assez
ardue et complexe. C'était au cours de ces matins où je suis devenu
habitué au débit de la langue wolof parlée et que j'ai pu apprendre
les éléments essentiels pour une conversation de base.
L'après-midi et le soir, je passais du temps avec Abdou, organisant
des jeux de groupe ou des chansons pour les talibés les plus jeunes.
Presque tous les jeux avaient un but plus ou moins précis. Nous
chantions en pular, wolof, français et anglais des chansons portant
sur le brossage des dents et la douche, par exemple. En jouant des
jeux comme la souque-à-la-corde, les talibés ont pu apprendre la valeur
des règles et de l'organisation. Ce durant ces jeux plus que nulle
part ailleurs que j'ai pu voir l'effet de la loi de la rue sur ces
enfants. Essayant de voir chaque talibé comme un être humain avec
une histoire unique, il est parfois facile d'oublier qu'ils grandissent
sans parents ni tuteurs et qu'ils ne connaissent pas les principes
sociaux les plus élémentaires. Cette réalité m'a attristé, mais elle
m'a aussi mis en colère. Il semblait parfois que nous menions une
bataille perdue d'avance, et je me sentais maladroit dans un rôle
disciplinaire.
L'une des parties les plus difficiles de mon séjour au Sénégal a été
que je ne pouvais jamais oublier mon rôle en tant que personne blanche,
et parfois cette réalité rendait mon travail difficile. Comme je ne
pouvais jamais sortir de ma peau, je devais être prudent avec les
enfants. Je voulais être perçu comme un adulte sénégalais, un parent
ou un grand frère et jamais comme un colonisateur.
La plupart des soirs, j'enseignais une classe d'anglais pour certains
des étudiants talibés les plus âgés (de 15 à 22 ans). Bien que j'aie
eu un peu d'expérience en tutorat, je n'avais jamais auparavant
enseigné l'anglais comme langue seconde ni eu à capter l'attention
d'une classe entière. C'était un véritable défi et je sais que j'ai
fait beaucoup d'erreurs. À plusieurs reprises, j'ai essayé de pousser
mes élèves pour ensuite constater qu'ils n'avaient rien retenu de la
leçon. En d'autres occasions, nous avons obtenu des progrès modestes
avec la grammaire, l'écriture et la lecture critique. Vers la fin de
l'été, mes étudiants étaient devenus parmi mes meilleurs amis. Je me
réjouissais de chacune de leurs réussites - un mot bien prononcé ou
une phrase bien formée - et j'étais conciliant pour leurs bourdes.
J'ai fait beaucoup d'erreurs, bien sûr, mais j'ai aussi gagné
énormément d'expérience pratique. Et dans l'ensemble, j'ai appris tellement.
Certaines de mes expériences les plus sympas au Sénégal se sont passées
à l'extérieur du centre. Participant à des mariages, errant dans les
rues désertes de Saint-Louis éclairées seulement pour la lune, j'ai eu
la chance de voir le Sénégal à partir d'une centaine de points de vue
différents et de parler avec toute une gamme de personnes au sujet de
leur pays, de leur société. Mais, même après deux mois, je me sens
encore comme si je n'avais eu qu'un bref coup d'œil à la culture. J'ai
vécu suffisamment au Sénégal, cependant, pour réaliser à quel point le
pays et sa culture sont vraiment riches et complexes.
Lorsque je réponds aux questions que mes amis et les membres de ma famille
me posent au sujet de mon été passé au Sénégal, je commence toujours par
leur parler des défis qu'il m'a fallu affronter. J'aime raconter mon
aventure telle qu'elle m'est arrivée, pour décrire mon expérience sans
l'édulcorer. J’hésite cependant à commencer par les défis parce que,
considérant ce que j’ai vécu au cours des deux mois et demi passés là-bas,
je me suis rendu compte de la beauté et de la valeur inestimable de la
culture sénégalaise.
Quand je suis arrivé au Sénégal, je me sentais débordé. Une partie de
moi aimerait oublier mes craintes initiales et mes insuffisances. Je
veux me rappeler le Sénégal comme le second chez moi qu'il est devenu
et non pas du stress d'être seul dans un pays étranger. Ces moments au
début sont peut-être les plus importants, cependant. Ils mettent en
relief les histoires étonnantes, les petits triomphes au jour le jour
et les amitiés qui ont finalement défini mon été. Lorsque je suis
confronté avec le choix entre romancer mon expérience ou raconter mes
craintes, je ne vais pas mentir: ce fut difficile.
Et, si j'avais la possibilité de vivre toute l'expérience une deuxième
fois, je le ferais ... les yeux fermés.
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