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Une prison pour enfants
TweeterVolontaire Christoph Pauly découvre la triste réalité dans un daara
« Depuis des semaines, je travaillais
comme volontaire avec Maison de la Gare et les enfants talibés. J’ai été touché par la
joie des garçons pour les plus petites choses qu’offre ce centre de la paix près de la gare
de Saint-Louis. Un banc pour se reposer, de l’eau courante pour se laver et un livre pour
se perdre dans le royaume de la fantaisie même si on ne sait pas
lire. Cette volonté
absolue d'´attaquer la vie. Cette faim existentielle pour un sourire, pour un ballon de
foot, pour un bout de pain trempé de sauce avant de partir pour la nuit dans la rue, avant
de rentrer dans le daara de leur marabout.
Mais c’est dans un daara que j'´ai vraiment commencé à comprendre. Ces derniers sont des
maisons dirigées par un enseignant islamique, plus précisément un marabout, où les enfants
visent à avoir une éducation islamique. Ces endroits qui fonctionnent bien souvent comme
des entreprises forcent les enfants à mendier dans la rue afin de gagner leur vie mais
également de soutenir celle de leur marabout.
Moustapha, environ 10 ans, les vêtements propres, le visage fermé, les yeux tristes, est
assis avec deux autres enfants devant nous. “Oui, tout est bien”, il nous dit avec une
voix faible, presque inaudible, quand Aby lui demande comment il va. Il regarde son
marabout en face avec peur ; il semble soucieux de ne pas faire une faute, de ne surtout
pas dire la vérité. Les jeunes marabouts sont également présents, munis de leurs petits
fouets. Ils supervisent le travail au quotidien des talibés et
renforcent la discipline.
Je n’avais jamais vu Moustapha chez nous, chez Maison de la Gare. Cependant, cela n’est
pas étonnant. En effet, d’après ce que nous dit le marabout, le garçon n’a pas le droit
de sortir depuis sa fuite du daara Serigne Mor Diop à Pikine, près de la gare routière
de Saint-Louis.
Aby, travailleuse sociale à Maison de la Gare, demande encore une fois gentiment à
Moustapha s’il peut jouer dans son daara. Il ne répond plus. Une larme se détache de
ses yeux. Son visage reste enfermé, dur, prématurément adulte ; cette fois la pression
intérieure est trop grande. Je regarde cette larme qui descend lentement jusqu’au menton,
dans un silence absolu. Je me sens mal à l’aise en face de cette souffrance. “Quand
as-tu vu tes parents pour la dernière fois, Tapha ?” Ce n’est pas lui mais son marabout
qui nous répond, triomphant : “Il y a trois semaines tous les parents sont venus au daara
et ils étaient très contents.”
Élodie, une jeune psychologue belge est aussi touchée par ce drame qui se déroule sous
nos yeux. “Est-ce qu’on peut parler avec lui tout seul ? Peut-être seulement une
après-midi à Maison de la Gare ?” Le marabout ne répond pas. Selon lui, il est le seul
à pouvoir s’occuper de l’enfant et lui apprendre le coran.
Aby nous avait invités à nous joindre à elle pour cette visite de suivi dans le daara.
Maison de la Gare visite régulièrement des enfants comme Moustapha qui ont fugué ou que
des collègues ont trouvés abandonnés dans les rues pendant la nuit. “Souvent les enfants
choisissent de rentrer dans leur daara parce que les parents ne les veulent plus ou parce
qu’ils n’ont plus de familles dans lesquelles ils peuvent retourner, dit Aby.”
Maison de la Gare essaie de coopérer avec les marabouts, de changer leurs attitudes.
Une mission délicate. Pendant cette visite, il devient clair que Souleymane est dans
une prison interne avec beaucoup d'´autres enfants. Le marabout préfère parler d’un
internat : “Les enfants ont le droit de sortir une fois par semaine avec leur gardien.”
Je lui réponds : “Chez nous, même les prisonniers qui ont commis des crimes capitaux
peuvent sortir au moins une fois par jour dans la cour de la prison.” Quel est le crime
commis par ces enfants ? Où sont leurs droits fondamentaux ? Nous souhaitons voir
l’intérieur de cette prison interne. En revanche, le marabout ne nous laisse pas entrer
dans son daara
de 500 enfants, qui est l’un des plus grands daaras de Saint-Louis.
À notre retour, on parle avec Issa, le président de Maison de la Gare. Il est alarmé,
tout comme nous. Bien sûr, c’est contre les lois sénégalaises et internationales
d´enfermer des enfants dans une prison. Ce n’est pas la première fois que Maison de la
Gare poursuit des marabouts en justice : certains avaient même enchaîné des enfants dans
leurs daaras. Issa parle avec le tribunal de notre cas. Par la suite, c’est le
sous-préfet de la région de Saint-Louis qui s’y intéresse. Le daara Serigne Mor Diop a
des liens avec des Mourides, une confrérie très puissante au Sénégal.
Mais Moustapha et les autres enfants rencontrés dans ce daara ne me laissent pas l’esprit
tranquille. Le dernier jour de mon séjour, je suis à nouveau accompagné d’Aby, en route
vers Pikine pour visiter cet immense daara de ce quartier religieux. Un lieu encadré par
un mur, avec une mosquée imposante, presque comme l’un de ces cloîtres si puissants de
l’époque du Moyen Âge
chez nous en Europe. Cette fois, je porte un boubou qui brille aux
couleurs de l’Afrique. Une de ces capes traditionnelles que les marabouts portent aussi,
souvent avec des couleurs plus sombres.
Moustapha et les deux autres garçons que l’on avait visité la dernière fois peuvent nous
rencontrer. Les mêmes visages stoïques, fermés, mais cette fois pas de larmes. Le
marabout et les garçons disent qu’ils ont pu sortir de la prison. Apparemment, le fait
de s’intéresser à leur destin les a beaucoup aidés. Les marabouts ont compris que nous
voulions savoir, que Maison de la Gare connaît les enfants, que nous ne fermerons pas
les yeux, que nous les confronterions à leurs responsabilités.
Ensuite, je veux voir la prison. Cette fois le marabout change d’avis. Était-ce mon
boubou qui a changé la donne ? Le sous-préfet ? Mon insistance ? Il me laisse entrer
au daara. Malheureusement Aby, elle, n’a pas le droit d’y entrer car elle est une femme.
Derrière la porte, à nouveau, une cour vaste avec plusieurs salles où se trouvent une
centaine d’enfants
qui bougent au rythme des psaumes du coran, les livres en arabe
devant eux. Une porte noire avec une petite fenêtre. “Derrière cette porte se trouve
la prison” me dit un jeune marabout.
Après cinq minutes d’attente, la porte d’acier s’ouvre de l’intérieur. Les gardiens
ont tourné la clé ; ils ne le font pas très souvent pour les visiteurs. Un peu de
soleil surplombe la cour. La porte se referme derrière moi. Je vois une grande salle
avec une cinquantaine d’enfants assis sur les tapis où ils apprennent, jouent, dorment.
Beaucoup de jeunes enfants de cinq, six, sept ans. Quelques-uns plus âgés. Beaucoup
de regards qui me fixent, calmes, qui n’osent même pas espérer. Au milieu de la salle,
je vois des pots en plastique remplis de nourriture, que les autres talibés ont récoltée
dans les rues.
Dans un premier temps, je suis soulagé. Pas de chaînes. Pas de sang. Pas d’obscurité
visible. Mais ces enfants ne peuvent pas sortir ; ils sont privés
de leur liberté,
parfois pendant des mois. Parce qu’ils sont trop jeunes, parce qu’ils ont fui leur
daara, parce qu’ils n’étaient pas assez disciplinés. Je les laisse me montrer les
“douches”, un bassin carrelé sans eau courante. Quatre toilettes, des trous avec une
odeur nauséabonde.
Finalement, j'´ai compris beaucoup des choses. Si ces jeunes garçons ont un jour le
droit de sortir dans la rue, ils aimeront mendier ou travailler dur pour leur marabout.
Sentir la liberté de la rue, même pour quelques heures de la journée, est tout de même
mieux que l’air chargé d’une prison. Si par chance ces garçons traumatisés trouvent
la petite cour de Maison de la Gare, ils ne pourront que se sentir au paradis.
Une des obligations importantes de Maison de la Gare, pour les responsables comme pour
les volontaires, est de continuer à suivre les enfants dans les daaras en s’assurant
qu’ils vont bien. Il est également important de confronter aux autorités sénégalaises
avec la vérité. En effet, ils existent des prisons pour les enfants et cette pratique
médiévale va bien évidemment à l’encontre de toutes les lois nationales et
internationales. »