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Dans la brousse, à la recherche d’une éducation
TweeterLa vision de Cheikh Diallo éclaire une nouvelle voie pour les enfants de village qui risquent de devenir des talibés (raconté par Sonia LeRoy et Rod LeRoy)
Depuis de nombreuses années, nous
connaissons un cordonnier à Saint-Louis qui est devenu un ami et une source d'inspiration.
Cheikh Diallo, à son tour, affirme que c’est nous qui l'avons inspiré. En prenant
connaissance de notre travail avec Maison de la Gare et les enfants talibés, il a
commencé à mettre
de côté son propre argent pour la construction d'une école dans son
village natal dans le district de Mbaye Aw. Après de nombreuses discussions (pendant
qu’il réparait des chaussures) sur la façon dont l'éducation peut donner de l'espoir
et tout changer pour un enfant comme un talibé mendiant, Cheikh était devenu un fervent
partisan à la cause.
Son idée est simple. Si l’éducation est accessible localement, les familles ne seront
pas tentées de confier leurs garçons aux marabouts des grandes villes où ils deviendront
des talibés. Impressionnés par le dévouement de Cheikh, nous avons contribué
régulièrement à son rêve et, finalement, la première école fut construite.
Quand le défi continuel du financement du salaire des enseignants se révéla au-delà des
moyens de Cheikh, nous l'avons présenté à Issa Kouyaté pour allier ce projet unique à
ceux de Maison de la Gare.
Cheikh nous a invités à visiter la région pour voir
son projet de nos propres yeux, une invitation que nous avons acceptée avec enthousiasme.
Nous avons quitté Saint Louis pour le district de Mbaye Aw le matin à 9h. Cependant,
il est vite devenu clair que nous aurions dû partir beaucoup plus tôt. Nous avons roulé une heure sur
la bonne route pavée jusqu'à Louga, puis effectué un virage à gauche pour se diriger
vers l'intérieur des terres et la ville
de Dahra Djoloff, plus de 100 km sur une route très défoncée. Bien que nous ayons
conduit prudemment afin de ne pas rejoindre les autres véhicules en panne sur notre
route, le temps pris a largement dépassé nos estimations. En chemin, nous avons vu des troupeaux de
dromadaires ainsi qu'autant d'ânes et de chèvres que de trous dans la chaussée.
Peu après Darha Djoloff, la route « pavée » se termine. Et, peu après cela, nous avons
quitté la route principale pour emprunter un chemin de terre nous menant à travers le maquis sablonneux.
Cette partie du pays est connue comme la brousse. La première
école à laquelle
nous sommes arrivés était situées dans le village de Ndigueli. Il y avait 28 étudiants, dont
4 filles. Les filles se marient typiquement dès l'âge de 12 ou 13 ans ici, et il est
donc rare que les parents les éduquent. Cheikh et ses collaborateurs font un gros
effort pour convaincre les parents d'envoyer leurs filles à l'école et pour aider tous
ces enfants à obtenir des certificats de naissance afin qu’ils puissent obtenir des
cartes d'identité nationale et ainsi, un jour, poursuivre leurs études. Sans ces
documents, cela n’est pas possible.
Environ une heure de trajet passé Ndigueli, nous sommes arrivés à un puits d'eau qui
dessert une superficie de plusieurs kilomètres carrés. La plupart des villages n'ont
pas leur propre source d'eau ; alors les femmes marchent ou conduisent des charrettes
d’ânes sur de longues distances pour aller chercher de l'eau pour leurs villages. Il
y avait deux femmes au puits portant chacune leur bébé sur leur dos, recueillant de
l'eau dans des récipients traditionnels … des vieilles chambres à air
de pneus ; elles
avaient parcouru six kilomètres pour arriver au puits. La collecte de l'eau peut être
presque un travail à temps plein pour les femmes des villages dans la brousse.
Les enfants étaient encore en classe à la deuxième école que nous avons visitée, au
village de Thiagale. Comme la première école que nous avons vue à Ndigueli, le
bâtiment a été construit avec des poteaux de bois et des murs en paille. Ces bâtiments
souffrent de dommages importants pendant la saison des pluies et sont ensuite réparés
ou reconstruits. Mais parfois pas ; cela dépend des moyens des villageois le moment
venu. À cette école, un comité d'accueil de toutes les mères du village nous attendait.
Nous représentions une formidable curiosité pour cette communauté très isolée. Sur les
31 élèves de cette école, 12 sont des filles. Et un seul enfant à l'école détient des
papiers. Beaucoup d'élèves marchent pendant des heures pour arriver ici. Ils savent
que l'éducation est importante, peut-être leur seul espoir pour atteindre quelque
chose de mieux.
La vie dans ces villages reculés est difficile. La nourriture est plus abondante après
la saison des
pluies mais, à cette période de l'année, au début de l'été, elle est
beaucoup plus rare. La distance à parcourir pour aller chercher de l'eau contribue aux
nombreux défis de la vie ici. Quand il n'y a pas moyen de s’instruire, quelle autre
option s’offre-t-elle que de se marier jeune, fonder une famille et continuer le cycle ?
Beaucoup de garçons sont confiés aux daaras dans les grandes villes comme talibés, bien
que cette pratique diminue grâce aux écoles que Cheikh a fondées. Cheikh a expliqué que
l'éducation donnera un espoir d’une vie meilleure à ces enfants et les aidera à s’y
préparer activement. L'éducation favorisera ces changements localement.
Une demi-heure plus tard et après nous être trompés de direction quelques fois, nous
sommes arrivés à l’école du village de Medina Alpha. Il y a 5 garçons et 23 filles
dans cette école. Elle a été la première des quatre écoles qui ont été construites,
et elle est munie de murs solides qui peuvent résister aux éléments. Les leaders et les
parents de ce village ont embrassé l'espoir offert par l'éducation. L’école est gérée
à la façon moderne avec toutes les classes enseignées en français.
Tous les enfants
ici ont des pièces d’identité. Cheikh et les enseignants travaillent pour identifier
et rapatrier les garçons de ce village qui ont été envoyés dans les grandes villes pour
mendier en tant que talibés, un espoir réaliste maintenant qu'une véritable éducation
est disponible localement. Beaucoup de garçons sont ainsi rentrés chez eux.
Au dernier site scolaire que nous avons visité, à Belel Ndioba, l’école n'existe
malheureusement plus. C’était une construction avec des murs de paille, qui fut
bientôt démantelée quand l'instituteur est parti ; il n'a pas fallu longtemps pour
que le bâtiment abandonné devienne victime des éléments et pris d’assaut par les voisins
nécessiteux. Cette école exigeait des frais d'environ 3 $ par mois par enfant et,
quand une masse critique de parents ne pouvait plus payer, l'enseignant cessait de
venir. Conséquence de cela, 43 enfants ont vu leur éducation suspendue, 19 filles et 24 garçons. Les
villageois d’ici espèrent que Maison de la Gare pourra faire quelque chose pour
leurs enfants.
Nous avons terminé la visite par un arrêt au village natal de notre ami Cheikh, Wouro
Seno.
Comme c’est courant dans la région, il n'y a pas de source d'eau ici non plus
et les femmes font deux kilomètres chaque jour pour aller chercher de l'eau. Lorsque
la fête en l'honneur de notre visite prit fin et après avoir rencontré toute la famille
de Cheikh, nous avons réalisé que nous ne pourrions pas retourner à Saint-Louis avant
la tombée de la nuit. Mais, nous avons atteint la route « pavée » juste avant le
coucher du soleil.
Lorsque nous sommes sortis du véhicule après 22h, nous avons tous réfléchi à notre
propre chance d'avoir un accès aussi facile à l'eau et aux autres nécessités de la
vie et, surtout, à l'éducation et donc aux opportunités qu’elle nous offre. Et nous
nous sommes émerveillés du courage et de la vision de Cheikh qui donne tout ce qu'il
a pour rendre possible un avenir prometteur pour les garçons et les filles de son
village et de ceux des environs.
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p.s. Il y a un aspect humain de cette histoire qui est incroyable, que nous tenons
à partager avec vous.
Lorsque Cheikh a parlé au chef du village de Medina Alpha de
son projet de construire l'école, le chef était totalement favorable. En fait il a
dit que, si l'école était vraiment construite, il lui donnerait sa fille Ndèye en
mariage. L'école a été construite, ses premiers étudiants diplômés en 2017, et
Cheikh et Ndèye se sont mariés la même année. Ils sont très heureux et leur fils
Amadou est né en janvier de cette année.