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Une soirée avec des talibés pour qui les choses viennent d’empirer















Sonia LeRoy et Rowan Hughes partagent une expérience extraordinaire


J’ai eu la chance d’aller au Sénégal à plusieurs reprises pour appuyer le travail de Maison de la Gare qui vient en aide aux enfants talibés de la rue. Ma fille adolescente, Rowan, m'a accompagné dans ce travail trois fois, devenant personnellement impliquée dans son projet d’abolir la mendicité forcée des talibés de Saint-Louis en supportant la mission de Maison de la Gare qui est de leur apporter de l'espoir. Lors d'une visite précédente, nous avons accompagné Issa Kouyaté lors d'une de ses "rondes de nuit" régulières, à la recherche des enfants talibés en fugue. Et, au cours de notre plus récente visite, nous avons passé une soirée avec des enfants en fugue qui sont actuellement sous les soins de Maison de la Gare.

Rowan écrit : « Je suis allée en tant que volontaire pour Maison de la Gare la première fois en 2012. J'ai vécu une expérience incroyable, distribuant des livres, organisant la bibliothèque et configurant des comptes email pour certains des enfants talibés. Ce ne fut que lors de mon deuxième voyage que je suis allée dans les rues et dans certains daaras. Je fus choquée et très émue en voyant l’état des daaras où mes amis devaient vivre. Mais la partie de ce voyage la plus émotionnellement difficile à vivre a été lors de cette sortie qu'on appelle « ronde de nuit ».

Lors de ses rondes de nuit, celle-ci avec moi, ma mère, mon grand-père et un homme qui l’aide pour ce travail, Issa sort à la recherche de talibés qui ont quitté leurs daaras et qui vivent dans les rues. Issa parle avec eux et les convainc de retourner à son propre domicile où ils peuvent rester jusqu'à ce que les autorités donnent le feu vert pour que Maison de la Gare les ramène dans leurs villages ou, dans certains cas, les retourne dans leurs daaras. Nous sommes sortis à une heure du matin alors qu’il faisait très noir.

Les rues de Saint-Louis habituellement chaotiques étaient d’un silence de mort et après une journée où il avait fait environ 35 degrés C (95 F), c’était soudainement froid. Nous avons rencontré Issa et puis nous avons pris un taxi qui nous a amenés à un endroit où un informateur lui avait dit que des enfants pourraient y être, en train de dormir. Le premier endroit où nous sommes arrivés était un stationnement pour les bus et les taxis. Issa m'a expliqué que les fugueurs sont souvent endormis sous les voitures, pour se mettre à l’abri des pédophiles ou autres qui pourraient leur faire du mal.

C’est en sortant du stationnement pour se diriger vers la rue que nous les avons vus. Quatre jeunes garçons dans un coin éclairé, collés l’un contre l’autre. Ils utilisaient leurs tee-shirts pour couvrir leur corps entier en les tirant au-dessus de leur tête et rentrant leurs bras, leurs jambes et leurs pieds en dedans. Issa les réveilla doucement un par un, leur parla en Wolof, et les convainquit de venir avec nous. Je ne pouvais m’empêcher d’imaginer ce qu’ils pouvaient bien penser. Imaginez que des étrangers vous réveillent au beau milieu de la nuit et vous demandent d'aller avec eux. Issa m'a informé que l'un des petits garçons, nommé Gora, avait vraisemblablement été agressé sexuellement. Il n’avait certainement pas plus de sept ans. Cela m’a déchiré le cœur. Il grelottait dans le coin, en me regardant. Je ne savais pas quoi faire; tout ce que je voulais faire était de le serrer dans mes bras et lui dire que tout irait bien. Mais bien sûr, je ne peux pas parler Wolof ; alors, je lui ai donné mon chandail.

Nous avons amené les quatre garçons à l'appartement d'Issa en taxis et les y'avons installés avec des couvertures. Le lendemain matin quand nous sommes allés au centre, tous les quatre étaient là. Malgré la chaleur, Gora portait toujours mon chandail, et je vous jure que je l'ai vu me sourire au moins une fois. »


Lors de notre récent voyage à Saint-Louis, Maison de la Gare prenait soin de quatre autres talibés qui avaient fugué, dans le petit appartement d'Issa. Rowan et moi y sommes allées avec un repas prêt-à-emporter et du matériel pour coloriage et nous nous sommes installées pour la soirée tandis qu'Issa devait sortir pour assister à une réunion. Chaque enfant a sa propre histoire. Mais ce qu'ils ont en commun est qu'ils sont tous des enfants privés de leurs droits humains fondamentaux. Et ils se retrouvent privés de ce dont tout enfant a besoin, soit d'attention et d'affection.

Mohammed est un garçon de quinze ans qui ne paraît pas son âge. Il est originaire de Dakar et il est venu à Saint-Louis pour travailler, mais fut bientôt exploité. Il aime dessiner. Mohammed a dessiné un marabout fouettant un enfant qui pleure ainsi que d’autres enfants qui pleurent en tenant dans leurs mains trop peu de pièces de monnaie pour leurs quotas.

Ousman, âge de 8 ans, et Mousanger, 12 ans, ont été arrêtés par la police locale pour avoir volé. Les enfants talibés désespérés de ne pouvoir remplir leurs quotas utilisent parfois le vol comme dernier recours pour éviter les conséquences redoutées. La police avait confié les enfants à Issa. Les deux garçons ont beaucoup apprécié leur repas et notre compagnie. Ils ont tous les deux dessiné image après image de la nourriture que nous avons mangée ce soir-là, nous offrant quelques-uns de leurs dessins comme cadeaux.

Le cas le plus navrant fut celui de Pape, un enfant de seulement cinq ans. Il avait de graves blessures aux chevilles, traces laissées par les chaînes que son marabout a utilisées pendant des jours en guise de punition. Sa situation est considérée comme grave et la police a sommé son marabout de se présenter pour interrogatoire. Le marabout, cependant, a disparu. Peut-être réapparaîtra-t-il une fois que les blessures auront eu le temps de guérir, effaçant ainsi la preuve. Mais le photo-dossier d'Issa l'attend. Pape était timide et calme. Il a dessiné de nombreuses images de son village et a clairement indiqué son désir de rentrer chez lui. Il monta doucement dans mes bras et s'y installa pour un câlin dont il a été privé depuis trop longtemps. Il est resté sur moi, blotti pendant des heures, et il a été déçu d'être mis au lit doucement quand vint le temps pour Rowan et moi de partir.

Rowan a donné des bracelets d'amitié à chacun des garçons en guise de souvenir. Ils les portaient fièrement. Nous allons penser à eux pendant qu'ils navigueront en évitant les écueils de leurs vies difficiles, dans les jours et les années à venir. Au moins, nous sommes réconfortés par la connaissance de savoir qu’il y a au moins Maison de la Gare pour veiller sur les enfants comme ceux-ci, et qu’elle fera tout ce qui est possible pour les guider sur leur chemin.