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Une affaire de famille





















Sonia LeRoy partage son vécu de l’expérience de sa famille avec Maison de la Gare


Dès mes premiers pas dans cette ruelle banalisée du quartier Sor de Saint-Louis qui mène au centre d'accueil de Maison de la Gare, j'entendis qu’on nommait mon nom et je vis six visages familiers. Ceux de ces petits garçons de la rue, tout petits, pieds nus, sales, souriants et enchanteurs. La clameur et le chaos poussiéreux de la rue animée s’estompèrent alors que chaque enfant se précipitait vers moi pour me saluer d’une poignée de main. Plusieurs répétaient mon nom, désirant s'assurer que je savais qu'ils me connaissent. Leurs sourires accueillants devinrent plus grands quand je commençai à distribuer des bonbons et le groupe des six se transforma instantanément, miraculeusement, en une horde exigeante de vingt enfants. Je n’en revenais pas ! Certains parmi les des six premiers hochaient de la tête d’un air entendu. Ils m’accompagnèrent dans la ruelle, me conduisant par la main, touchant mon bras, laissant s’échapper des sourires timides, et en répétant leurs propres noms, soucieux de confirmer que je les connaissais aussi.

En entrant dans le sanctuaire de Maison de la Gare, tout ce que je voyais était sourires et tout transpirait la bienvenue. «Sonia!», «De retour!», «Combien de temps cette fois?», «et la famille?», «et Robbie cette fois?», «Rowan?» Il m’a fallu des heures pour saluer tout le monde correctement, pour reconfirmer leur compréhension de leur importance pour moi et de la mienne pour eux. Pour être mis à jour sur les maladies récentes, les abus et les triomphes.

Le progrès au centre est encourageant. Les cocotiers ont finalement poussé, hors de danger d'être la cible de tirs de ballons de football égarés ou celle des enfants en train de pratiquer la lutte. Les papayes ont survécu la saison des vents et des tempêtes de sable et se tiennent debout et portent des fruits. L’infirmière va nous aider à ranger les médicaments que nous avons apportés pour stocker la clinique. Les enfants vont en classe, jouent à des jeux, prennent soin du jardin, lavent leurs vêtements, lisent dans la bibliothèque et suivent leurs sujets d’intérêts et leurs amis sur Facebook au centre informatique, et des cours de karaté se poursuivent.

Souleymane, que j'aime comme un membre de ma propre famille, annonce fièrement qu'il a gagné sa ceinture orange en karaté et qu'il a fait ses débuts de compétition en combat. Arouna, un autre qui j'aime comme l’un des miens, me met à jour sur les progrès de son éducation durement gagnée. Il est enfin à l'école secondaire mais, bien que libéré de la mendicité forcée, doit encore faire face à la domination et l'ingérence de son marabout. Arouna rêve de l'université, de l'enseignement et de l'écriture, soucieux de devenir lui-même un agent du changement qui doit avoir lieu. Je rêve de lui trouver une bourse pour l’aider à y arriver.

La première fois que j’ai fait ce voyage avec mon père en 2010, je ne savais pas à quoi m’attendre. J'avais toujours eu envie de sortir de ma zone de confort pour redonner ce que j’avais reçu à ceux qui sont sans ressources, pour qu’ils puissent s’aider eux-mêmes. Grâce à l'invitation de mon père à me joindre à lui pour son troisième voyage au Sénégal, j’ai eu la chance de réaliser mon rêve. Nous nous sommes envolés vers un endroit où sévit un niveau de pauvreté et des violations des droits de l'homme au-delà de mon expérience ou de compréhension. Comment est-ce que moi, une personne qui aide des gens à prendre le contrôle de leur argent en vue d’atteindre leurs objectifs dans la vie, je pourrais avoir quelque chose à offrir à ceux qui n’ont pas un sou et qui n’ont d’autres objectifs autres que la survie?

Je suis rapidement tombée en amour avec ces enfants, leur beauté, leur résilience et leur sens de l'humour, le tout face à circonstances incroyablement intolérables. On les connaît comme les « talibés ». Il y en a des dizaines de milliers au Sénégal, tous des garçons. Ils sont censés étudier le Coran, mais en réalité ils sont forcés de mendier pour des quotas d'argent pour leurs marabouts, aussi appelés maîtres coraniques. Souvent sévèrement maltraités, négligés par leurs familles qui sont éloignées, les talibés mendient parfois jusqu’à dix heures par jour. Human Rights Watch et l'Organisation des Nations Unies caractérisent les talibés comme esclaves modernes. Le gouvernement et la société en général ferment les yeux. On trouve toujours quelqu’un d’autre à blâmer: le gouvernement, les parents, les marabouts, les policiers qui ne parviennent pas à faire respecter la loi. Personne d'autre que la Maison de la Gare ne semble prêt à assumer la responsabilité de ces innocents.

La première fois que j’ai rencontré un enfant talibé de l'âge de mon fils et de mes neveux, j'ai eu un sentiment que, sans la grâce de Dieu ou d'un accident de naissance, ceux-ci pourraient être mes propres enfants. Et je savais que, si je pouvais les aider, je devais le faire. Quelle est la raison pour laquelle moi, ou n’importe qui au nord ou à l’ouest de la planète, est plus digne de la prospérité, la santé, la sécurité, les possibilités et l'espoir que ces enfants qui n’ont aucune responsabilité pour leur sort sauf d’être né en ce temps et ce lieu.

Depuis cette première visite, je suis retournée une douzaine de fois pour continuer à travailler avec la Maison de la Gare, souvent avec mon père, pour aider à construire le centre selon la vision du fondateur Issa Kouyaté et pour faire ce que je peux pour aider le personnel sénégalais à aider les enfants à maintenir l'espoir et trouver une voie vers une vie meilleure. Au fil des années à la Maison de la Gare, j'ai enseigné aux enfants l’anglais et le français ainsi que le karaté. J’ai été un chef de projet et un guide touristique. J'ai soigné les blessures et déparasité des enfants dans les daaras et dans la clinique du centre. J’ai été un jardinier, un peintre, un ouvrier, un mentor, une mère et un ami. La Fondation caritative de ma famille et la patience de mon père à préparer les demandes de subvention ont facilité le financement de la plupart des progrès ici, financé avec l'aide de nombreux collaborateurs sympathiques. Toutes les sociétés d'investissement avec lesquelles je travaille ont contribué. Mon père s’occupe de la tenue des livres et maintient le site web qui aide à stimuler les dons et à encourager un programme de volontariat international en plein essor. Nous écrivons tous deux régulièrement des articles sur le site web pour assurer la continuation des dons. Et, pendant tout ce temps, ces enfants sont vraiment devenus une deuxième famille pour nous.

Il y a quatre ans, ma fille Rowan qui a eu 14 ans à l’époque m'a accompagnée au Sénégal pour le premier de cinq voyages (jusqu'à présent). Elle s’est liée aux talibés d'une manière que seule une jeune personne pouvait faire. Rowan a vu les enfants talibés d'égal à égal, avec le même potentiel illimité qu'elle se sait elle-même avoir. Elle les vit d'une manière qu'ils ne s’étaient probablement jamais vue eux-mêmes, ne prenant jamais en compte des limitations potentielles de ces enfants qui pouvaient à peine lire ou écrire ou qui n’avaient jamais vu un ordinateur. Rowan a aidé à établir des comptes courriel pour les talibés de la Maison de la Gare. Elle savait que la connexion avec le monde extérieur et avec elle-même de retour au Canada, la possibilité de maintenir des liens à long terme avec des volontaires internationaux, l’exposition régulière à de différentes visions du monde, et l'acquisition des compétences valorisées par la société moderne pourraient bénéficier infiniment aux talibés. Ces enfants sont sûrement les enfants mendiants de la rue les plus informatisés et connaissants du monde en ligne de l’Afrique!

Il y a un an et demi, mon mari Robin et mon fils Robbie se sont joints à Rowan et moi pour chez Maison de la Gare. Robbie, qui a eu 13 ans à l’époque, comme Rowan devant lui a entrevu les possibilités pour les talibés d’une façon que la plupart des adultes n’auraient pas pu concevoir. Appréciant les avantages que son sport de karaté pouvait offrir aux talibés … la discipline, la confiance, l'autodéfense et le sentiment d'appartenance à quelque chose de spécial … Robbie nous a convaincus de l’aider à mettre en place un programme de karaté pour les talibés de la Maison de la Gare. Aujourd'hui, la fierté que les garçons prennent dans leurs gi (kimono de karaté) et de leurs ceintures blanches provenant de dons de dojos canadiens est évidente. Au cours de la deuxième visite que Robbie a faite avec moi le mois de décembre dernier, nous avons été invités à assister aux essais pendant lesquels certains talibés de Maison de la Gare ont gagné des ceintures plus élevées. Leur confiance était palpable, et leur fierté dans la réussite était irrépressible. Robbie, qui est du même âge que beaucoup d'entre eux, est détendeur d’une ceinture noire, et il est un exemple et contribue à répandre la croyance que tout est, en effet, possible. Même pour les talibés.

L'impact le plus grand que nous avons sur les enfants de Maison de la Gare vient probablement tout simplement de notre exemple et de notre intérêt. Maison de la Gare essaie d’enseigner aux talibés qu'ils sont dignes de bien plus encore. La simple présence de volontaires internationaux souligne cette vérité. Et, la présence d'enfants travaillant pour les talibés de façon compétente démontre comment les enfants peuvent être puissants.

Ma famille et moi sommes aventurés en Afrique dans le but de donner. Et, je sais que nous l’avons fait. Je le sais par les progrès que je vois : les sourires sur les visages, les amputations évitées grâce aux antibiotiques, les inscriptions à l'école, les conversations philosophiques sur le rôle de la société par rapport à la mendicité forcée, la fierté dans la réussite, les ceintures de karaté blanches se transformant en ceintures colorées, les emails de fin de nuit reçus et les chats Facebook auxquels je suis invitée à chaque fois que je suis en ligne. Mais ce que nous recevons est beaucoup plus grand. Interagir avec ces enfants m’inspire à croire qu’absolument tout est possible. Il me donne de plus le sentiment d'être complètement présente et vivante. Il a transformé mes paradigmes et ceux de mes enfants. Personne ne fait ce travail dans le but de recevoir. Mais, c’est inévitable, comme toute personne qui donne le sait.

Le volontariat avec Maison de la Gare en famille a apporté des récompenses que nous n’imaginions pas. Faire ce travail ensemble comme une famille nous a rapprochés et nous a permis de mieux apprécier nos propres avantages et possibilités, tout en élargissant nos perspectives par rapport, à peu près, tous.

Le volontariat international peut être fructueux et enrichissant pour tout le monde. Des étudiants, des retraités, des couples, des groupes de jeunes, des individus et des familles ont maintenant laissé leur marque à Maison de la Gare. Et Maison de la Gare, son équipe, son fondateur dédié Issa et les talibés de Saint-Louis ont, à leur tour, laissé leur empreinte sur chaque volontaire qui est passé par leurs portes.