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Les contrastes de l'habitude
TweeterLa volontaire Emmanuelle Pinet se démène pour comprendre la situation des enfants talibés mendiants
Ceci est le deuxième rapport d'Emmanuelle, rédigé alors qu'elle était volontaire chez Maison de la Gare
en mai 2021. Elle tente dans ce rapport de comprendre comment il est possible
que des milliers
d'enfants mendient dans la rue alors que d'autres membres de la société, qui les voient tous les jours,
ne semblent pas conscients de leur situation et de l'injustice qu'ils vivent.
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« J’ai envie de vous parler de contraste. Toujours ce contraste saisissant, mais cette fois-ci plus
précisément autour des talibés.
Le contraste qui m’aura frappé tout au long de mon séjour à Saint-Louis, c’est l’habitude. Déjà parce
que les jours passent
et même s’ils changent de mon quotidien parisien, certains rituels prennent
place peu à peu.
Prendre ma douche froide au réveil, une habitude que j’apprécie dorénavant, les tuyaux la réchauffent
un peu grâce au soleil, et puis ici il ne fait pas froid, enfin du moins pas pour moi, car il n’est
pas rare de voir quelques enfants grelotter le matin dans la rue, soit les écoliers qui partent étudier,
ou les jeunes talibés qui arrivent en centre-ville le ventre vide pour mendier.
Là aussi, mon regard s’accoutume peu à peu. Et le leur au mien aussi. Certains d’entre eux viennent
au centre de Maison de la Gare, et quand je les croise désormais dans la rue, ils m’appellent et me
font coucou, avec un large sourire, et sans même rien demander.
Avant, j’aimais à dire que LA RÉPÉTITION FIXE LA NOTION, et je ne suis pas la seule ; tous les livres
de développement personnel rappellent l’importance de la routine, celle qui vous cadre, vous
organise, vous fait répéter un enchaînement d’actions qui finira par devenir un automatisme, et alors
la motivation passera au second plan et ne sera plus aussi indispensable à l’accomplissement
de son travail.
Mais si les habitudes peuvent être bénéfiques, elles ont aussi le pouvoir de faire accepter
l’inacceptable. Et je m’en rends compte ici en me prenant une très grosse claque.
Des centaines d’enfants qui n’ont pas d’hygiène, ne mangent pas correctement, sont habillés de
vêtements déchirés et trop grands, qui mendient dans la rue toute la journée, c’est le paysage
quotidien du centre-ville de Saint-Louis et tout le monde l’a accepté, par habitude là encore.
On me parle de croyances tenaces, d’ignorance, de solution ultime pour qu’ils puissent être nourris,
d’un fléau qu’on ne peut plus arrêter tellement il y a de nouveaux daaras qui s’implantent … bref,
je crois qu’ils ne réalisent pas la tragédie de leurs propos.
Bien sûr, il y a les commerçants et parfois certains passants qui donneront une pièce, ou un petit
sachet de riz ... et voilà, là encore, une habitude qui évite la remise en question en palliant au
plus urgent, au plus vital.
Parmi les acteurs sociaux, les collaborateurs, j’en ai vu parfois ceux qui, par habitude d’être
confronté à la misère, prêtent aujourd’hui moins d’attention à ce
qu’ils ont devant les yeux tous
les jours. Ils en oublient parfois l’importance de leur tâche, à quel point ils ont dans leurs
mains le pouvoir du changement de l’avenir de ces enfants livrés au pire et à eux-mêmes.
Et puis, enfin, le pire de tout, le plus insoutenable et difficile à voir comme à décrire, c’est
l’habitude de la misère pour ces enfants ...
Ils n’ont connu que ça, ils ne côtoient que ça, ils ne reçoivent aucune éducation, aucun soin,
aucune attention… mais
ils restent des enfants, qui rient, qui dansent parfois et qui sont en bande,
souvent du même daara.
Je crois que la première mission d’un volontaire ici, et de loin la plus importante est
finalement là.
Quel qu’il soit, peu importe son origine, sa provenance, son éducation ou ses compétences, rappeler
par nos yeux en larmes, par nos étonnements permanents, nos airs dépités, nos silences ou nos
questions, que tout ce qui se passe ici à Saint-Louis n’est pas normal, que ce n’est pas bien,
que ce n’est pas tolérable, et qu’on ne peut pas rester à regarder ce fléau par habitude, mais
plutôt se lever et agir !
Il n’y a rien qui puisse justifier qu’un enfant mendie dans la rue sans chaussures, juste ça,
alors imaginez les dérives de toutes sortes qui tournent autour de ces petits êtres si vulnérables !
Enfin quelques photos, peut-être pas les meilleures, mais certaines images qui m’ont touchées
plus que d’autres, et puis ce contraste bien sûr, entre le beau Saint-Louis touristique, et le
quotidien de ces jeunes talibés. »