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Le lampadaire





































Robbie Hughes allume le monde caché des enfants de Maison de la Gare


J’habite à South Orange, une petite ville du New Jersey aux États-Unis. Comme je le fais chaque soir à la fin de ma journée, je me prélasse sur mon balcon. De l'autre côté de la rue, un parking vide attire mon attention, éclairé d’un seul lampadaire vacillant, ce même lampadaire à la lumière froide que je vois chaque soir.

Ce soir, cette vision me transporte en esprit au Sénégal, devant un autre parking pas très différent de cette scène paisible sous mes yeux. Sous ce lampadaire se trouve un enfant talibé qui vient de s’enfuir de son daara à la recherche d'un foyer lointain. Il est là debout, aux prises avec une décision qu'aucun enfant ne devrait jamais avoir à prendre : dois-je dormir sous la lueur de ce lampadaire où tout le monde peut me voir, ou dois-je me cacher dans l'ombre où personne ne peut me trouver ? Si j'étais ce talibé fuyant une vie d'exploitation et d'abus, que choisirais-je… le lampadaire ou l'ombre ?

Le voilà donc, un enfant dans un état d’hébétude et de fatigue, en pleine nuit, se demandant s’il doit se cacher ou rester visible. Dormir à la lumière, c'est s’exposer à être retrouvé par le même marabout qu’il vient de fuir. Dormir dans l'obscurité, c’est risquer d’autres terreurs, de l’inconnu. Si quelqu’un aux intentions néfastes le trouvait, personne ne serait là pour le sauver.

C'est alors que j'ai pris conscience d'une réalité déchirante : la visibilité n'a pas d'importance. Chaque jour, cet enfant est visible. Chaque jour, les gens le voient dans la rue, exposé et vulnérable. Bien que personne ne le regarde dans les yeux, ils voient les bleus, les vêtements déchirés, la sébile vide. Ils voient la souffrance, et ils passent à côté, indifférents à sa douleur. Chaque jour, des personnes conscientes de sa condition misérable mènent leur vie, et aucune ne s'arrête pour l'aider. Pourquoi ce soir serait-il différent ? S'ils n'interviennent pas en plein jour, quand l’enfant est obligé de mendier à la vue de tous, pourquoi le feraient-ils maintenant, sous le couvert de la nuit ? La lumière ne le sauvera pas. Il sera toujours seul.

Il n'y a pas de plus grand crime que ceux que nous commettons contre nos propres enfants. Les enfants talibés - nos enfants - sont soumis à un système brutal de travail forcé et d'abus, et beaucoup trop d'entre nous ferment les yeux. Il ne s'agit pas seulement d'un crime contre cet enfant, mais d'un crime contre l'humanité elle-même. Comment pouvons-nous détourner le regard lorsque les plus vulnérables d'entre nous appellent à l'aide ?

Le lampadaire, souvent associé à la mise en lumière des choses pour plus de clarté et de compréhension, sert ici à rappeler les injustices que nous choisissons d'ignorer. Au lieu d'être une lueur d'espoir, il expose les ombres de l'indifférence qui enveloppent notre société.

Nous associons souvent la lumière à une force qui dévoile les vérités et qui expose les actes répréhensibles afin qu'ils puissent être traités. Pourtant, dans ce contexte, la lumière jette un éclairage cru sur l'inaction qui définit le système talibé ; elle met à nu l'un des nombreux échecs collectifs de l'humanité. Plutôt que d'éclairer les voies de la sécurité et de la justice, elle expose la douloureuse réalité selon laquelle de nombreux membres de nos communautés peuvent voir la souffrance, mais restent impassibles à agir. Elle nous oblige à faire face à l'amère ironie qui veut que si la lumière révèle la vérité, elle expose aussi notre apathie collective.

Le lampadaire est une métaphore puissante de l'obligation morale qui nous incombe.

Il nous oblige à réfléchir à notre rôle dans cette tragédie en cours et nous met au défi de passer de la prise de conscience à l'action. Si nous devons apporter quelque chose à la lumière, soyons déterminés à changer, à refuser de détourner le regard et à protéger ceux qui ont été contraints de choisir l'ombre depuis bien trop longtemps.

En fin de compte, que l'enfant choisisse la lumière ou l'ombre, le résultat reste le même ... il est abandonné, livré à lui-même dans un monde qui refuse de voir sa souffrance. Le système talibé n'est pas seulement une tragédie de circonstance, c'est une trahison de notre devoir le plus fondamental de protéger les plus vulnérables. Nous ne pouvons plus vivre dans un monde où un enfant doit choisir entre la lumière et l'obscurité, sachant que l'un ou l'autre choix mènera au même isolement déchirant.
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Le Canadien Robbie Hughes est étudiant à Master en Diplomatie et Relations internationales à Seton Hall University, New Jersey. Ceinture noire à l'âge de 13 ans, il a démarré le programme de karaté de Maison de la Gare en 2014. Il vient de rentrer de sa septième visite à Saint-Louis.