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Samba Sy, Victime de torture




































Une fenêtre sur une réalité brutale


Plusieurs de nos rapports célèbrent des moments heureux avec les enfants talibés, leur résilience et leurs succès. Et il y a de quoi célébrer.

Cependant, cela masque la dure réalité. Chacun des enfants avec lesquels nous travaillons est victime d'une forme contemporaine d'esclavage et de torture. Ils vivent leur vie sans soutien familial, privés d'un abri décent et d'installations d'hygiène, et mendient leur nourriture et de l'argent pour le marabout qui les contrôle.

Depuis 2013, notre travail a été en partie soutenu par les fonds du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme, initialement par le Fonds esclavage, et depuis deux ans par le Fonds pour les victimes de la torture.

Chaque année, nous devons préparer 20 études de cas détaillées de victimes pour le Fonds torture. Chacune de ces études est une fenêtre sur la réalité déchirante de la vie de ces enfants. Chaque histoire est différente. Nous partageons ici l'une d'entre elles, afin de vous donner une fenêtre sur ce monde.
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Samba Sy est un adolescent de 19 ans originaire de la région de Kaolack au Sénégal. Son père est agriculteur, tandis que sa mère gère un petit commerce de produits locaux et s'occupe de ses enfants. Samba est le troisième plus âgé d'une famille de cinq frères et deux sœurs.

Il y a six ans, le père de Samba a décidé de le confier à un cousin qui est le marabout d'un daara à Saint-Louis. Arrivé à l'âge de 13 ans, Samba a entamé le long périple de la vie d'un talibé, avec tous les hauts et les bas que cela comporte. Il s’est rapidement retrouvé à mendier dans les rues de Saint-Louis pour le compte de son marabout. Samba, ayant quitté la maison familiale pour un daara décrépit aux conditions de vie déplorables, a subi un choc psychologique sévère en réalisant que sa vie entrait dans un nouveau chapitre très difficile.

Dès les premiers jours de son arrivée, Samba a été victime des violences physiques. Cela s’est produit parce qu'il n'a pas réussi à mendier le quota de 200 francs imposé par son marabout et parce qu'il n'a pas mémorisé des versets du Coran comme le lui demandait son marabout. Chaque fois, il a été battu soit par le marabout lui-même, soit par l'un des talibés plus âgés du daara. Cette violence est devenue monnaie courante dans les daaras tant pour les marabouts que pour leurs victimes. Les talibés plus âgés sont également pris dans ce cercle vicieux, pensant que c'est le seul moyen de forger les jeunes talibés en hommes valeureux.

Après avoir vécu cette situation pendant plus de cinq ans, subissant des violences et des humiliations quotidiennes, et suite à un incident particulièrement violent qui l’a conduit à l’hôpital, Samba a décidé de fuir le daara pour vivre dans la rue. Il dormait dans un petit abri qu'il avait construit près du marché et effectuait de petits travaux pour gagner de l'argent et subvenir à ses besoins de base.

À la suite de plusieurs jours passés dans la rue, une discussion, avec un autre talibé qui se rend régulièrement à Maison de la Gare, a motivé Samba à prendre enfin sa vie en main. Le talibé lui a parlé du programme de karaté auquel il participe, tout en lui expliquant le soutien qu'il peut avoir au centre, parlant des différentes activités que nous faisons pour les enfants talibés. Lorsque Samba a manifesté son intérêt, le garçon l'a mis en contact avec Buaró, le responsable du programme de karaté.

Buaró a immédiatement reconnu la situation désespérée de Samba. Il a gagné la confiance du garçon, l'a soutenu et l'a amené dans notre centre. Comme Samba souffrait encore de ses coups, Awa et Alagie, notre équipe médicale, l'ont pris en charge, ont soigné ses plaies et lui ont administré des antibiotiques.

Aby et Aïssa, membres de l’équipe du dortoir d'urgence, ont accueilli Samba pendant quatre jours, le temps qu'il se remette de ses blessures. Il a pu se doucher, a reçu de nouveaux vêtements et a bénéficié de repas réguliers et nourrissants. Grâce à cet environnement sûr et rassurant, il a rapidement repris des forces.

En raison de la nature traumatisante de son expérience, Samba a participé à des séances de soutien psychologique avec l'équipe du dortoir d'urgence. Les éducateurs lui ont apporté soutien et réconfort, l'aidant à surmonter son traumatisme. Avec ce soutien, sa santé mentale et son bien-être émotionnel se sont progressivement améliorés.

Une recherche des parents de Samba a été entreprise, ainsi qu’une mise en garde contre son marabout. Le marabout a avoué avoir frappé Samba. Il a reconnu avoir dépassé les limites et s’est engagé à ce que de tels actes ne se reproduisent plus dans son daara.

Après avoir contacté le père de Samba, nous avons organisé une séance de médiation dans notre centre avec lui et le marabout. Nous les avons confrontés aux faits et avons clairement défini leurs responsabilités dans cette histoire tragique. Finalement, un accord a été conclu pour que Samba soit rendu chez lui à Kaolack auprès de sa famille.

Samba est maintenant chez lui, en sécurité dans son environnement familial, et il travaille sur la prochaine orientation de sa vie. Nos éducateurs continuent de le soutenir en lui téléphonant régulièrement, ainsi qu'à ses parents.

Le cycle tragique a été brisé et Samba a la possibilité de se construire un avenir meilleur.
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Le nom et la région d'origine de l'enfant talibé figurant dans ce rapport ont été modifiés. Toutes les photos sauf la première sont des mises en scène avec un talibé du même âge.

“Samba” est l'un des 188 talibés accueillis dans notre dortoir d'urgence en 2023, chacun d'entre eux ayant une histoire déchirante. 46 de ces garçons ont été rendus à leur famille dans leur communauté d'origine, 135 ont été réintégrés dans leurs daaras, 5 ont été orientés vers d'autres centres et 2 ont fugué.