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Les anges de Saint-Louis
TweeterKaren et Sonia racontent leur expérience d'une « ronde de nuit »
Au cours du mois de mars, un groupe de six
volontaires canadiens ont participé à une ronde de nuit dirigée par un partenaire
de Maison de la Gare, Idrissa Diallo de l'Univers de l’enfant. Le groupe était
composé de trois parents et leurs filles adolescentes.
Sonia raconte : « J’ai participé à ma première ronde de nuit il y a déjà
quelques années.
En fait, jusqu'à ce moment-là je n’étais pas tout à fait
consciente de cet autre côté de la vie d'Issa Kouyaté, même si je savais bien que
les talibés fuguent parfois de leurs daaras et de leurs marabouts. Les garçons
sont le plus souvent violentés par leurs maîtres, quand ils ne parviennent pas à
livrer leurs quotas de mendicité. Parfois, ils préfèrent s’enfuir plutôt que de
retourner chez un marabout abusif et subir les conséquences d'un quota non rempli.
Parfois, les conditions dans leurs daaras sont si mauvaises que les enfants s’en
échappent quand ils ne peuvent plus les supporter.
Depuis plusieurs années, malgré ses journées de travail très chargées, Issa
parcourt les rues tard le soir ou durant la nuit ou le week-end quand il entend
parler d'un enfant en crise, pour rechercher et sauver des talibés en fugue.
Personne ne le paie pour faire ce travail. Quand il retrouvait des enfants dans
les rues la nuit, dans le passé il les ramenait à son propre appartement et les
y installait pour la nuit. Il pouvait avoir 4 à 10 enfants séjournant dans son
salon à tout moment. Il prenait soin d'eux, les nourrissait, et passait autant
de temps qu'il le pouvait avec ces garçons souvent gravement traumatisés.
Depuis que le dortoir d'urgence a été construit au centre de Maison de la Gare
en 2014, les enfants en fugue y ont été hébergés pendant quelques jours jusqu'à
quelques semaines sous la garde de la 'mère de maison' Mame Diarra, une bénévole
à long terme, une femme toute menue, native de France. De temps en temps un
enfant, qui a subi des sévices graves et qui n'a pas de foyer où aller vivre
séjourne à Maison de la Gare plus longtemps. Récemment, une subvention reçue de
l'Union européenne a permis à Maison de la Gare d’affecter une équipe dirigée
par Idrissa à la recherche d'enfants en fugue, à leur prise en charge dans le
dortoir d'urgence et, le cas échéant, à leur rapatriement dans leurs communautés
d'origine. La maison d'Issa est redevenue la sienne, la plupart du temps. »
Karen poursuit : « Lors de notre avant-dernière soirée à Saint-Louis, nous
avons rencontré Idrissa, Bathe et Abdoulaye vers 23 h à la Place Faidherbe dans
le centre de la ville, munis de lampes de poche. Les rues de Saint-Louis sont
un endroit différent la nuit ... tranquille, mais pas trop accueillant. C’était
une nuit un peu
frisquette; la température se situait un peu en bas de 20 degrés
Celsius mais, avec le vent léger, on ressentait beaucoup plus la fraîcheur de
l’air. Nous portions tous des vestes et je ne pouvais pas imaginer comment ces
garçons pouvaient dormir dehors sans abri et sans vêtements appropriés.
Nous sommes tous partis en groupe, traversant le pont qui mène vers le village
des pêcheurs Guet Ndar sur la Langue de Barbarie, un monde à part avec une
population très concentrée. Les bateaux de pêche jonchent le littoral. Les
étals délabrés de vendeurs, les cabanes de fortune et les ordures éparpillées
partout donnent une impression de pauvreté, mais un regard porté au-delà de la
façade de misère révèle une communauté prospère avec des téléviseurs, des
bateaux de pêche coûteux et d'énormes familles. Inutile de dire qu’il y avait
beaucoup de coins et recoins où des talibés en fugue peuvent trouver refuge.
Nous avons pointé les faisceaux de nos lampes de poche dans les bateaux, les
coins de rue et les voitures stationnées à la recherche d'enfants.
Idrissa s’arrêta à un étal de nourriture pour demander à une femme si elle
était au courant que des talibés pouvaient être en fugue. Elle nous répondit
que non, alors nous avons continué notre recherche. Il y avait un niveau
d'activité surprenant dans la rue à cette heure. Nous avons continué notre
démarche le long
du rivage et puis nous avons amorcé notre chemin de retour
en serpentant à travers un quartier plus résidentiel.
À moins de 50 mètres de l'étal de nourriture, nous avons découvert trois
garçons blottis derrière un mur à hauteur du genou. Les garçons dormaient
sur des tas de chiffons, blottis l’un contre l’autre. Ils furent très
surpris, mais les membres du personnel de Maison de la Gare parlèrent
tranquillement avec eux, leur demandant de quel daara ils provenaient et
pourquoi ils dormaient dans la rue. Après quelques minutes de questions
avec peu de réponses, le personnel leur a parlé du dortoir d'urgence au
centre de Maison de la Gare et leur a expliqué qu'ils y seraient accueillis.
Tout à coup, l'un des garçons bondit et s’enfuit à la course, trop rapide
pour être rattrapé. Idrissa appela un taxi et Bathe installa les deux garçons
restants sur la banquette arrière avec Abdoulaye sur un côté et l'un d'entre
nous de l'autre côté. Les deux enfants s'appelaient Mamadou et Seydou.
Nous sommes arrivés au centre peu après minuit, où Mame Diarra avait l'air
d'être complètement à l'aise avec la situation. Elle communiquait couramment
avec les garçons
en Wolof, puis a quitté la pièce pour aller chercher des
pulls molletonnés pour eux. Par la suite, elle se mit à poser aux garçons
des questions et à remplir les formulaires d'admission pour chacun d'eux.
Les garçons semblaient très réticents, même si je pense qu'ils ont été
quelque peu rassurés par le fait que Mame Diarra est une femme; la plupart
des talibés n'ont pas eu d'attention maternelle depuis des années. Nous
avons laissé les garçons avec elle pour reprendre notre ronde de nuit. »
Sonia réfléchit sur l'expérience : « Lors qu'ils sont en fugue, les
enfants sont vulnérables. Je comprends mieux maintenant pourquoi Issa et
Idrissa sont tellement motivés à faire ce travail pendant leur propre temps
libre. Les enfants fuient par peur de la vie dans les daaras. Mais, ce
qui les attend dans la rue pourrait être encore pire. L'agression sexuelle
est commune contre les garçons talibés dans la rue, tard dans la nuit pendant
que la société dort. Personne ne se posera de question à leur sujet ou ne se
souciera de leur bien-être. Cibles faciles ! Je connaissais déjà bien cette
terrible réalité; j'ai vu les résultats de ces traumatismes de mes propres
yeux. Lors de ma première ronde de nuit, nous avions trouvé un garçon de
six ans, Gora,
qui avait été agressé sexuellement dans la rue la nuit
précédente. Ma fille et moi sommes toujours hantées en pensant à lui. Mais
cette nuit-là, Idrissa m'a averti d'un risque plus important. Il m'a appris
que lui et beaucoup d'autres croient que les enfants disparaissent plus
souvent que dans le passé. Il pense que, parce qu'il y a plus de talibés et
donc plus de fugueurs, la possibilité d'enlèvement est en augmentation (on
estime qu'il y a plus de 10 000 enfants talibés mendiants à Saint Louis).
Les enfants eux-mêmes auraient certainement peur de ces dangers, ce qui
souligne à quel point leur situation doit être néfaste pour eux s'ils
préfèrent les risques de la rue à ceux du daara.
Idrissa dit que, les nuits où il ne sort pas faire une ronde de nuit, il ne
peut pas dormir parce qu'il imagine les dangers qui guettent les enfants qui
ne seront pas ramassés cette nuit-là. Issa ressent la même chose. Ceci est
la raison pour laquelle Issa et Idrissa donnent si peu d’importance à leur
sommeil ».
Issa et Idrissa sont véritablement les « anges de Saint-Louis ».