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Les talibés en fugue
TweeterTrois enfants talibés qui ont fugué de leurs daaras - un rapport de l'avocate canadienne et ancienne volontaire Lisa LeRoy
Rondes de nuit et
sauvetage – Pendant la journée, le quartier de la Langue de Barbarie,
situé de l'autre côté du pont de l'île de Saint-Louis, bourdonne d'activités. Les
rues sont remplies de marchands, de pêcheurs et leurs familles, de bétail, de
voitures, de charrettes tirées par des chevaux et de calèches.
Mais la nuit, les
rues de la Langue de Barbarie sont calmes et sombres; seulement quelques lumières
restent allumées dans les maisons entassées le long des routes. C’est dans cette
ambiance que je suis partie à 1h00 du matin avec Issa Kouyaté, le président de
Maison de la Gare, et son proche collaborateur Idrissa Diallo d'Univers de l'enfant
pour une ronde de nuit à la recherche d'enfants talibés en fugue.
Issa estime que, chaque nuit, il y a une centaine d'enfants talibés fugueurs qui
dorment dans les rues de Saint-Louis. Les raisons pour lesquelles ces garçons
fuguent sont nombreuses et complexes. Peut-être n’ont-ils pas réussi à atteindre
leur quota quotidien en mendiant et ont peur des répercussions de leurs marabouts
(maîtres coraniques)
ou bien ont subis une violence physique dans leurs daaras.
Cette nuit-là (et, malheureusement, comme c’est le cas la plupart des nuits), il
n’a pas été difficile de trouver des fugueurs. Presque tout de suite, Issa et
Idrissa ont trouvé deux garçons blottis et endormis dans une petite enceinte sous
une bâche, le long d'une rue.
Les garçons, de 7 ou 8 ans, dormaient tranquillement. Issa tira doucement le
premier garçon, Gallo, hors de l'enceinte. Gallo fut très surpris de se faire
réveiller en pleine nuit, mais parla très peu. Le deuxième garçon, Rasoul, a hurlé
quand Issa a essayé de
le récupérer (j'ai appris plus tard qu'il avait peur d'être
renvoyé dans son daara). En quelques secondes, la rue s’anima et une vingtaine de
voisins encerclèrent la scène, hurlant en exigeant de savoir ce qu'Issa et Idrissa
faisaient. Pour moi, en tant qu'observatrice qui ne parle pas beaucoup de Wolof,
c’était une scène très tendue. Je ne peux pas imaginer comment tout l'incident a
dû être effrayant pour les deux garçons.
Issa et Idrissa ont expliqué ce qu'ils faisaient, et la foule s’est finalement
dispersée, chacun rentrant chez lui. Issa et Idrissa ont rassuré Gallo et Rasoul
qu'ils n’allaient pas les ramener à leurs daaras et qu'ils allaient les emmener
dans un endroit sécuritaire pour dormir et manger. Pieds nus, obéissants et
silencieux, les garçons marchèrent à l'appartement d'Issa dans les rues toujours
désertes.
Rasoul, Gallo et Malick - En arrivant à l'appartement
d'Issa, Rasoul et Gallo choisirent chacun un matelas et s’endormirent immédiatement.
Il y avait un autre jeune garçon, Malick, qui était déjà endormi. Malick, âgé
d'environ 6 ans, dormait dans la rue depuis une semaine quand quelqu'un le ramena
à Maison de la Gare. Les marabouts sont tenus de communiquer avec le Ministère de
la Justice dès qu'un enfant disparaît. Toutefois, cela se fait rarement parce que
les marabouts sont conscients qu'ils maltraitent les enfants et ils veulent éviter
une enquête.
Le lendemain matin, Rasoul, Gallo et Malick ont reçu de nouveaux vêtements au
centre de Maison de la Gare. Puis on les a amenés au bureau de l'AEMO (Action
éducative en milieu ouvert)
du Ministère de la Justice pour être enregistrés et
pour initier les enquêtes sur leurs cas.
Nous avons appris que Rasoul venait de Fouta, au nord du Sénégal. Ses parents
ont été contactés après que son daara fut identifié et que la raison pour laquelle
il s'était enfui fut établie. Son père est arrivé le lendemain pour le ramener
chez lui; il était en état de choc en apprenant quel traitement Rasoul avait subi
dans son daara.
Gallo était très calme et nous ne l'avons presque jamais vu sourire ni exprimer
la moindre émotion. Il semblait terriblement renfermé et nous ne pouvions que
soupçonner ce qui l'avait amené à fuir de son daara. Malgré plusieurs tentatives,
il ne s'est jamais ouvert à quiconque.
Malick au contraire avait une étincelle dans les yeux et il souriait souvent avec
beaucoup d'enthousiasme. Bien qu'il semblait heureux, il avait des blessures
récentes dans le dos montrant qu’il avait été battu. Malick nous a guidés à son
daara, mais est resté caché dans un magasin du coin avec Issa tandis qu'Idrissa y
est allé pour enquêter.
Malick était communicatif avec son histoire et nous a
expliqué que c'était le marabout junior, âgé de 16 ou 17 ans, qui l'avait battu.
Malick ne voulait pas retourner vivre dans son daara.
Lorsque le marabout junior a été convoqué au Ministère de la Justice pour une
enquête formelle, nous avons été choqués d'apprendre qu'il était le frère
biologique de Malick. Ce marabout junior insista fortement pour que Malick
retourne à son daara et que leur famille ne soit pas contactée.
Malick est originaire de la Gambie et, lorsque l'enquête fut terminée, on contacta
ses parents. Comme le désir de Malick de rentrer chez lui était clair, le
Ministère de la Justice prépara la décision ordonnant son retour. Dans de tels
cas, Idrissa, Issa ou un membre du personnel de Maison de la Gare accompagne
l'enfant à son domicile ou encore, ses parents viennent le chercher à Saint-Louis.
Le séjour de Gallo à Maison de la Gare n'a pas eu un dénouement aussi heureux.
Deux jours après que nous l'eûmes trouvé dans la Langue de Barbarie, Gallo s'est
enfui du centre de Maison de la Gare. Issa et Idrissa sont sortis pour tenter
de le retrouver les nuits suivantes, en particulier près de la gare d’autobus
où de nombreux talibés accourent pour se rendre à Dakar. Gallo n'a pas été
trouvé, et on n'a jamais su de quoi il fuyait.
Espoir pour les fugueurs - Au centre de Maison de la
Gare, il est facile d'oublier rapidement les dures réalités auxquelles sont
confrontés les enfants
talibés et de se laisser prendre à vivre le moment présent
lors d’un jeu ou d'un éclat de rire. Pour ces garçons, le centre est un lieu
d'espoir où ils sont en mesure de trouver refuge, être soignés et de savoir qu'ils
ne sont pas seuls.
Cependant, les défis des vies des talibés sont énormes, encore plus pour les
fugueurs. Plus tôt cette année,
Human Rights Watch a documenté les violations
continues. Alors que le travail nécessaire pour répondre aux questions des
garçons talibés mendiants peut sembler insurmontable, les efforts et l'engagement
de Maison de la Gare et ceux de nombreuses autres organisations nationales et
internationales sont une source d'inspiration.
Nous invitons les volontaires
engagés à nous rejoindre dans cet effort.
Pour visionner une vidéo puissamment éloquente sur le travail de Maison de
la Gare au nom des talibés,
s'il vous plaît cliquez sur ce lien.