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Qui sont les talibés ? Pourquoi mendient-ils ?
































Rowan Hughes partage sa compréhension de cette question complexe, après huit ans de collaboration avec Maison de la Gare et les enfants talibés


Partout dans le monde et tout au long de l'histoire, certains groupes vulnérables ont été injustement exploités. Et leurs exploiteurs qui occupent des positions de pouvoir en ont profité et la loi a fermé les yeux.

Le système talibé du Sénégal a ses racines au 14e siècle, mais il a considérablement évolué depuis les années 1960 ; il est passé d'un système respecté d'éducation religieuse et de renforcement du caractère à un système d'exploitation lourd. Aujourd'hui, des familles majoritairement rurales confient leurs fils à des enseignants islamiques basés en milieu urbain, appelés marabouts. Cependant, au lieu de recevoir l’éducation islamique attendue, des dizaines de milliers de ces enfants « talibés » subissent généralement des conditions de privation, des châtiments corporels extrêmes et sont contraints à mendier des quotas quotidiens d’argent ainsi que leur propre nourriture pendant 8 à 10 heures par jour. Les Nations Unies considèrent aujourd'hui le système talibé comme une forme d'esclavage moderne.

Marabouts

Les marabouts sont les principaux acteurs de la maltraitance des talibés. Certains d'entre eux ont des systèmes de recrutement qui s'étendent aux villages des pays voisins, faisant passer le système talibé national au trafic international d'enfants. De nombreux marabouts forcent leurs talibés à mendier pour leur enrichissement personnel, mais il n'en a pas toujours été ainsi.

Le système talibé est né comme l'un des premiers systèmes formels d'éducation en Afrique de l'Ouest, basé sur une relation de confiance dans laquelle les marabouts étaient responsables et soutenus par les populations locales. Tous les talibés, quelle que soit leur origine ou leur richesse familiale, ont fait un peu la mendicité, non pas pour enrichir le marabout, mais plutôt pour leur apprendre l'humilité. Les daaras se trouvaient dans la communauté ou dans un village voisin où la proximité de leur domicile permettait aux talibés et à leurs familles de rester en contact étroit. Les familles apportaient de petites contributions financières au daara et les enfants pouvaient retourner régulièrement chez eux pour manger, se laver, nettoyer leurs vêtements et passer du temps avec leurs familles.

Il y a un peu plus d'un demi-siècle, lorsque la sécheresse s'est aggravée au Sénégal, un grave appauvrissement en a résulté dans les villages ruraux. Cela a incité de nombreux marabouts à déplacer leurs daaras vers des villes relativement plus prospères. La pauvreté croissante dans les villages a rendu difficile pour les familles à continuer à soutenir financièrement les marabouts et, après la transition vers les villes, les parents ont cessé de jouer un rôle actif dans le soutien de leurs fils. Ce phénomène de migration des daaras à partir des villages ruraux s'est amplifié à un point tel qu’aujourd’hui on retrouve des milliers de daaras dans les villes du Sénégal où les marabouts utilisent la mendicité forcée par les enfants comme leur principal moyen de soutien financier.

La société civile

Le rôle de la société civile est essentiel pour comprendre pourquoi la mendicité forcée persiste. Les citoyens sénégalais contribuent à renforcer le système talibé dans son rôle de piège classique de la pauvreté. Ils coexistent quotidiennement avec les talibés et sont souvent indifférents à leur détresse. Pire encore, la plupart des citoyens donnent généreusement aux sébiles des talibés mais, malheureusement pour les talibés, cette générosité ne fait qu'alimenter le système qui les exploite.

L’appui sénégalais au système talibé est profondément enraciné dans l’histoire religieuse et culturelle du pays. Les écoles coraniques sont un symbole clé de l'identité musulmane en Afrique de l'Ouest depuis le 14e siècle et les marabouts, en tant que dirigeants de ces écoles, ont une influence exceptionnellement forte. L'accent mis sur l'apprentissage par cœur du Coran et le devoir musulman renforce les individus qui donnent aux talibés moins par compassion que par attentes de la société, sans examiner de trop près à qui ou à quoi ils donnent réellement. Certains des abus subis par les talibés dans les daaras ne sont pas considérés comme offensants pour la société sénégalaise comme ils peuvent l’être pour les organisations internationales qui défendent les droits de l’enfant. En outre, certains des abus les plus graves se produisent hors de la vue du public et sont donc faciles à ignorer.


La société civile est un levier essentiel de changement potentiel ; si les individus arrêtaient de donner aux talibés, le système prendrait rapidement fin.

Autres acteurs

L'État a joué un double rôle dans la perpétuation du système talibé en ne faisant pas appliquer les lois sur la mendicité forcée et en légitimisant indirectement le système des daaras mendiants en tant que système éducatif. Le Code pénal du Sénégal criminalisait depuis longtemps la mendicité forcée des enfants. Cependant, seule une poignée de cas ont fait l'objet de poursuites dans un contexte de milliers de daaras où on force les enfants à mendier. Ce laxisme gouvernemental reflète l'influence politique des marabouts, l'ampleur écrasante du problème et la rareté de ressources. Malgré la rhétorique politique, l'application des lois sur la mendicité forcée reste hors d’atteinte.

Nombreux sont ceux dans la société sénégalaise qui appellent au changement. Certaines organisations de la société civile, dont Maison de la Gare en est un chef de file, s'efforcent d'éduquer les gens sur la gravité des conditions auxquelles sont confrontés les talibés. Ces organisations ont eu un impact important sur l’amélioration des conditions de vie et des perspectives d’avenir des enfants, et elles militent sans relâche pour mettre fin au système de mendicité des enfants talibés.

La communauté internationale est un autre acteur qui pourrait jouer un rôle plus important pour inciter l'État à modifier son comportement à l'égard du système talibé. Par exemple, en faisant pression sur les dirigeants gouvernementaux en ce qui concerne les droits humains des enfants et en soutenant les organisations de la société civile qui travaillent pour mettre fin à la mendicité forcée, comme Maison de la Gare.

Les familles des enfants talibés sont également des acteurs importants. Si les parents arrêtaient d'envoyer leurs enfants dans les daaras urbains pour y devenir talibés, le système s'effondrerait. Cependant, l'importance de l'éducation islamique et l'influence des marabouts sont particulièrement puissantes auprès des parents ruraux qui sont souvent peu scolarisés. De plus, lorsqu'il n'y a pas d'écoles locales, les familles ont très peu d'options si elles veulent que leurs enfants reçoivent une éducation et la promesse d'une éducation islamique dans un daara urbain est souvent la seule option disponible. Enfin, certains parents ignorent tout simplement la gravité des conditions de privation, de mendicité forcée et de maltraitance subies par leurs enfants.


Les conséquences involontaires de l'envoi par les parents de leurs garçons des villages ruraux vers les villes sont lourdes de conséquences pour la société, pas seulement pour les talibés. Quelqu’un qui visiterait l’un des nombreux villages ruraux du Sénégal, d’où on a envoyé les garçons dans les villes pour être talibés, observerait un nombre dramatiquement disproportionné de filles. Dans ces villages, il est courant que les filles se marient dès 13 ou 14 ans avec des hommes plus âgés qui ont déjà d’autres épouses. Ainsi, le manque d'écoles dans les villages ruraux non seulement encourage le système talibé, mais il favorise également la polygamie, le mariage d’enfants et l'analphabétisme des femmes.

L'incapacité des talibés à devenir des membres productifs de la société sénégalaise est une autre conséquence involontaire et désolante. Issa Kouyaté, fondateur et président de Maison de la Gare, l'a compris depuis longtemps. Son principal objectif pour Maison de la Gare, outre de mettre fin à la mendicité forcée au Sénégal, est de donner aux jeunes talibés les moyens d'apprendre à devenir des membres productifs et prospères de la société.

Que pouvons-nous faire ?

Le piège dans lequel vivent les enfants talibés est le résultat de nombreux facteurs complexes. Les marabouts, la société civile, les familles des talibés, le gouvernement et la communauté internationale sont tous des acteurs qui jouent un rôle, soit par l'action, soit par l'absence d'action qui perpétue les horreurs du système talibés. Influencer les parents à garder leurs enfants à la maison en construisant des écoles dans les zones rurales et encourager les daaras à revenir à leurs racines rurales ont un potentiel important, tout comme la pression et l'aide ciblée de la communauté internationale.

Nous pouvons également établir une collaboration efficace entre les parents, les marabouts, les enfants talibés, la société civile et des organisations comme Maison de la Gare. La communication directe entre tous ces acteurs est essentielle si nous voulons parvenir à une véritable protection des enfants. Ensemble, nous pouvons démanteler les pratiques illégales des exploiteurs. Seule une telle collaboration peut apporter un réel changement pour ces milliers d'enfants maltraités.

Important pour nos lecteurs, des dons faits par l'intermédiaire d'organisations au niveau local telles que Maison de la Gare offrent plus qu'un simple espoir ; ils offrent la possibilité d'un véritable changement.
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Rowan Hughes a visité Maison de la Gare pour la première fois en 2012 à l'âge de 14 ans. Depuis, elle a fait neuf autres voyages à Saint-Louis en tant que bénévole et elle termine actuellement un diplôme en développement international à l'université de Guelph au Canada.