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Un aller simple vers l’enfance


































Le récit émouvant de Mamadou Gueye racontant la recherche d'un enfant et sa remise en famille


Il y a des nuits qui s’impriment dans la mémoire comme une brûlure lente. Des nuits où le silence pèse plus lourd que les mots, où chaque pas résonne comme un appel à l’aide que personne ne veut entendre. Cette nuit-là, au quai de pêche de Saint-Louis, un enfant se tenait seul, debout entre deux mondes — celui qu’il avait fui et celui qu’il espérait retrouver. Il n’avait que neuf ans.

Il ne pleurait plus. Non par absence de peur, mais parce qu’un cœur d’enfant ne peut contenir qu’une mer de larmes – et la sienne était tarie. Il ne fuyait pas pour mendier moins, il fuyait pour vivre un peu plus. Il venait de s’échapper de son daara après des mois de coups, de faim, de solitude et d’humiliation. Ce soir-là, il n’avait qu’un seul désir : rentrer chez lui, à Diaobé. Revoir sa mère. Sentir les bras de son grand-père. Redevenir un enfant.

Quand Mamadou Gueye et les autres l’ont trouvé, il n’a pas dit grand-chose. Il avait l’habitude qu’on ne l’écoute pas. Il a simplement murmuré : « Je veux rentrer à la maison. »

« Maison » – ce mot si simple, si lourd. Et là, quelque chose s’est enclenché. Quelque chose qu’on ne voit pas souvent dans les histoires d’enfants talibés : une possibilité de retour.

Accueilli à Maison de la Gare, nourri, soigné, rassuré, il a vu se lever une aube nouvelle. Très vite, une recherche a été lancée. Parce qu’il ne suffisait pas de le sortir de la rue. Il fallait lui rendre ce qu’on lui avait volé : son enfance, sa dignité, sa famille.

Et un matin, après treize heures de route, le véhicule est arrivé à Diaobé, au sud-est du Sénégal. Le soleil se levait à peine, caressant les toits de tôle rouillée et les champs encore humides de rosée. L’enfant n’a rien dit, mais ses yeux brûlaient d’une attente fébrile. À l’entrée du village, des enfants l’ont vu descendre. Ils ont crié son nom. Comme une incantation. Comme un miracle.

En quelques minutes, le quartier entier était là. Les femmes laissaient tomber leurs bassines. Les hommes, muets, se pressaient autour de lui. On n’en croyait pas ses yeux. L’enfant qu’on croyait perdu, avalé par les rues de Saint-Louis, était revenu.

Un conseil de famille s’est tenu aussitôt. Le grand-père, une personne respectée, a tranché d’une voix ferme : « Plus jamais au daara », sa voix tremblait, non de doute, mais d’émotion. La mère, les larmes aux yeux, a acquiescé en silence. Le grand frère, les poings serrés, demandait déjà ce qu’il fallait faire pour l’aider à rester. Ne plus jamais le perdre.

Et c’est là que commence la vraie histoire. Pas celle du sauvetage, mais celle de la reconstruction.

Maison de la Gare a promis un accompagnement. Un suivi. Un soutien pour le logement, la scolarisation, une nouvelle vie. L’enfant a été inscrit à l’école. Il apprend aussi le Coran, mais dans un cadre sain, respectueux. Il joue avec les autres. Il rit à nouveau. Et parfois, quand il fait une bêtise – car il en fait, comme tous les enfants – c’est Mamadou Gueye qu’on appelle. Parce que le lien reste. Parce qu’on n’abandonne pas ceux qu’on a aidés à se relever.

Ce retour n’est pas seulement le récit d’un enfant retrouvé. C’est un acte de résistance. Une réponse vivante à un système qui déshumanise. C’est le refus de croire qu’un enfant doit souffrir pour apprendre. C’est une famille qui se reconstruit, un village qui se souvient, et une organisation qui choisit, chaque jour, d’agir plutôt que de détourner le regard.

Il y a quelque chose de profondément bouleversant dans le fait de voir un enfant rentrer chez lui. Non pas par miracle, mais parce que des adultes ont fait leur part. Parce qu’on a décidé que sa vie comptait. Parce qu’on a écouté.

Et moi, à chaque fois que je repense à cette nuit au quai de pêche, à cette silhouette frêle sous la lune, je me dis que ce retour-là devrait être une norme, pas une exception. Que chaque enfant qui fuit un daara devrait pouvoir retrouver sa mère, ses rires, sa maison.

Car au fond, il n’y a pas de plus grand acte de justice que celui qui consiste à ramener un enfant chez lui. Là où il n’a pas à choisir entre lumière et obscurité. Là où il peut enfin simplement dormir en paix.